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Les tarifs réglementés d’électricité sur le fil du rasoir

Public - Droit public des affaires
23/05/2018
Voilà quelques temps que les spéculations allaient bon train quant à l’avenir des tarifs réglementés de l’énergie. Car la première brèche ouverte pour le cas du gaz par la retentissante jurisprudence « ANODE » de l’été dernier devait nécessairement conduire le Conseil d’État à se prononcer sur le sort des TRV d’électricité. Et c’est une solution en demi-teinte qui ressort de sa décision du 18 mai 2018. S’il admet la possibilité de tels tarifs, il finit par annuler partiellement le dispositif établi pour 2017.
La dernière offensive des opérateurs alternatifs avait abouti à une solution plus radicale entrainant l’annulation du décret n° 2013-400 du 16 mai 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel (CE, 19 juill. 2017, n° 370321, Assoc. nationale des opérateurs détaillant en énergie [ANODE], v. Qui veut sauver la peau des tarifs réglementés de l’énergie ?, Entretien avec Jean Gaubert, Médiateur national de l’énergie, RLC 2017/67, n° 3299).
L’ANODE, accompagnée d’Engie, a cette fois dirigé son action contre la décision du 27 juillet 2017 fixant les tarifs réglementés de vente d’électricité à compter du 1er août 2017.


La Haute juridiction commence par examiner la mesure à l’aune des principes posés par la Cour de justice dans son arrêt « ANODE » du 7 septembre 2016 (CJUE, 7 sept. 2016, aff. C-121/15, v. RLC 2016/54, n° 3043) pour établir que « les États membres disposent d'un large pouvoir discrétionnaire dans la détermination de l'intérêt économique général poursuivi par la réglementation des prix de fourniture du gaz naturel, qui peut consister notamment en l'objectif de maintenir ces prix à un niveau raisonnable ou celui d'assurer la sécurité de l'approvisionnement ainsi que la cohésion territoriale. De tels objectifs sont, de même, susceptibles de justifier la réglementation des prix de vente de l'électricité ». Et d’en inférer que l'objectif de stabilité des prix est de nature à justifier une entrave au développement de la concurrence sur le marché de détail de l'électricité dans un contexte de forte volatilité des prix du marché de gros (les prix pouvant varier de 25 à 60 € le MWh en quelques mois) susceptible d’impacter le marché de détail, d’autant que cette énergie est, souligne le Conseil d’État, un produit de première nécessité non substituable contrairement au gaz.

Cette stabilité serait inhérente à la méthode de détermination des TRV, méthode dite « par empilement » des coûts qui permettrait de maîtriser chacune des composantes du prix.
 
Aux termes de l’article L. 337-6 du code de l’énergie, les TRV d’électricité sont établis par addition du prix d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH, 27 % du TRV), du coût du complément d’approvisionnement au prix de marché, de la garantie de capacité, des coûts d’acheminement de l’électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d’une rémunération normale de l’activité de fourniture.

La Haute juridiction enfonce le clou en ajoutant que si « les offres de marché garantissant une formule de prix sur deux ou trois ans se sont développées au cours des deux dernières années, elles proposent souvent un prix indexé sur les tarifs réglementés, lesquels demeurent ainsi un prix de référence et garantissent une visibilité de long terme qu'une intervention ponctuelle ne peut offrir ». C’est là où réside l’une des pierres d’achoppement soulevées par le rapporteur public Bokdam-Tognetti, dans ses conclusions, qui estime au contraire que « les prix de détails ne souffrent pas d’une instabilité excessive qui nuirait aux consommateurs » dans la mesure où le mécanisme de l’ARENH joue un rôle stabilisateur et où l’article L. 410-2 du code de commerce prévoit la possibilité d’une intervention exceptionnelle sur les prix.

La nécessité d’un réexamen périodique du dispositif

Les juges du Palais-Royal poursuivent l’analyse en affirmant que la réglementation tarifaire litigieuse apparaît disproportionnée en ce qu’elle ne prévoit pas un réexamen périodique de la nécessité de l’intervention étatique sur les prix de vente au détail et en ce qu’elle est applicable à tous les « consommateurs finals », particuliers et entreprises, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères. L’annulation prononcée par le Conseil d’État ne portera finalement que sur ce dernier point, le caractère permanent du dispositif n’affectant pas, précise-t-il, la légalité de la décision attaquée qui n’est prise que pour une période d’un an maximum.  

 
Source : Actualités du droit