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Exercice libéral des praticiens des établissements publics de santé et dérogations à l'interdiction de facturation de dépassements d'honoraires

Public - Santé
24/06/2019
Les dispositions qui réservent aux praticiens des établissements publics de santé la possibilité d'exercer, au sein de leur établissement, une activité libérale non soumise à l'interdiction de facturation de dépassements d'honoraires instaurent-elles une différence de traitement injustifiée ? La réponse du Conseil constitutionnel.
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par le Conseil d’État (CE, 12 avr. 2019, n° 427173 ; voir Dépassement d’honoraires des praticiens des établissements publics et privés de santé : renvoi d'une QPC, Actualités du droit, 16 avr.), le Conseil constitutionnel déclare la conformité des dispositions du dernier alinéa du II de l’article L. 6154-2 du Code de la santé publique. 

Rappelons, à la suite de la Rue Montpensier, que 4° du paragraphe I de l'article L. 6112-2 du Code de la santé publique garantit, au sein du service public hospitalier, l'absence de facturation des dépassements d'honoraires et des dépassements des tarifs réglementaires. L'article L. 6154-2 du même code définit, quant à lui, les conditions d'exercice de l'activité libérale de certains praticiens des établissements publics de santé. Le dernier alinéa de son paragraphe II prévoit que des dispositions réglementaires, qui peuvent, le cas échéant, déroger aux dispositions du 4° du I de l'article L. 6112-2, fixent les modalités d'exercice de l'activité libérale.

Les parties requérantes reprochaient à ces dispositions de réserver aux praticiens des établissements publics de santé la possibilité d'exercer, au sein de leur établissement, une activité libérale non soumise à l'interdiction de facturation de dépassements d'honoraires. Il en résulterait selon eux une double différence de traitement, contraire au principe d'égalité devant la loi :
  • la première, entre les patients des établissements publics de santé, qui ne bénéficieraient pas tous de la garantie d'absence de dépassements d'honoraires, selon qu'ils sont soignés par un praticien exerçant ou non à titre libéral ;
  • la seconde différence de traitement, entre les établissements de santé publics et privés habilités à assurer le service public hospitalier : seuls les premiers peuvent recruter des médecins autorisés à pratiquer des dépassements d'honoraires dans le cadre de l'exercice d'une activité libérale au sein de l'établissement.
Le second grief était tiré d’une méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle : en réservant une telle possibilité de recrutement aux établissements publics de santé, sans l'étendre aux établissements de santé privés, ces dispositions rendraient trop difficile l'habilitation de ces derniers à l'exercice du service public hospitalier.

Le Conseil constitutionnel reprend les termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que son interprétation constante selon laquelle le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

Il constate ensuite que les dispositions contestées permettent au pouvoir réglementaire de prévoir, en faveur de ces praticiens, des dérogations à l'interdiction de facturation de dépassements d'honoraires.
Plus précisément, il s’avère, en application de ces dispositions, que les praticiens des établissements publics de santé, lorsqu'ils exercent une activité libérale au sein de leur établissement, n'interviennent pas dans le cadre du service public hospitalier. Le patient accueilli dans un tel établissement peut ainsi bénéficier d'une prestation assurée soit par un praticien exerçant à titre libéral en dehors du cadre du service public hospitalier, sans garantie d'absence de dépassements d'honoraires, soit par un praticien intervenant dans le cadre du service public hospitalier, alors tenu à l'absence de facturation de tels dépassements. Pour le Conseil constitutionnel, à cet égard, le paragraphe II de l'article L. 6154-2 du Code de la santé publique garantit l'information des patients et la neutralité de leur orientation entre activité libérale et activité publique. Les dispositions contestées n'instaurent ainsi aucune différence de traitement entre les patients accueillis dans un établissement public de santé.

Par ailleurs, en ce qui concerne les praticiens publics qui peuvent bénéficier de la dérogation prévue par les dispositions contestées, le Conseil observe qu’ils sont, en raison de leur situation statutaire, tenus de consacrer la totalité de leur activité professionnelle à leurs fonctions hospitalières et universitaires. Mais il en va différemment des médecins libéraux employés par un établissement de santé privé assurant le service public hospitalier : ceux-ci n'ont pas nécessairement vocation à y consacrer l'intégralité de leur carrière et ne sont pas tenus d'exercer à plein temps leur activité au sein de cet établissement. Ainsi, ces derniers peuvent, dans des proportions que la loi les laisse libres de déterminer, exercer d'autres activités médicales, non soumises à l'interdiction de dépassements d'honoraires, dans le cadre de la médecine de ville ou dans un établissement de santé n'assurant pas le service public hospitalier. La différence de traitement contestée, entre les établissements publics de santé et les établissements de santé privés, repose donc sur une différence de situation.

Spécifiquement en ce qui concerne la possibilité des praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé, d'exercer une activité libérale au sein de l'établissement, le Conseil note qu’elle est soumise à plusieurs conditions :
  • elle ne doit pas entraver l'accomplissement des missions du service public hospitalier ;
  • les praticiens doivent être adhérents à la convention régissant les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les médecins, relative à l'encadrement des tarifs (CSS, art. L. 162-5) ;
  • ils doivent exercer personnellement et à titre principal une activité de même nature dans le secteur hospitalier public ;
  • la durée de l'activité libérale ne doit pas excéder 20 % de la durée de service hospitalier hebdomadaire à laquelle ils sont astreints ;
  • le nombre de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité libérale doit être inférieur au nombre de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité publique ;
  • aucun lit, ni aucune installation médico-technique ne doit être réservé à l'activité libérale.

Dans de telles conditions, le Conseil constitutionnel estime que l’exercice d'une activité libérale vise à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé. Il permet ainsi d'améliorer l'attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des établissements publics de santé. Dans la mesure où la possibilité de pratiquer des dépassements d'honoraires contribue à cette attractivité, la différence de traitement contestée est en rapport direct avec l'objet de la loi.

Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté et que les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la Constitution.
Source : Actualités du droit